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Vincent Mbandeve, à bras-le-corps

Brut, instinctif et incisif, voici le monde mouvant de Vincent Mbandeve.

C’est tout son corps qui s’engage, une confrontation, une étreinte sauvage mais respectueuse envers la toile, qui se dévoile dans
ce corps-à-corps pictural. Vivaces, ses œuvres témoignent du grouillement permanent de la vie urbaine, le monde des bidonvilles et des quartiers chauds d’Abidjan, en perpétuelle mutation. Utilisant différents matériaux considérés comme peu nobles pour les beaux-arts qu’il a fréquenté, Vincent Mbandeve a su façonner son style et ses propres outils pour retranscrire sa perception de la réalité.

C’est le langage de la rue, indomptable et hybride, insaisissable et fascinant qu’il dépeint dans ses œuvres : il en a fait un mouvement, issu du parler « Nouchi ». Le « Nouchi » est une langue née dans les rues ivoiriennes, un mélange hybride des dialectes ivoiriens associés à des langues européennes (français, espagnol, allemand) ainsi que des onomatopées, construite sur une syntaxe française. Tout en étant reconnu artistiquement et professionnellement, il joue avec les apparences, laissant transparaître ici ou là un message, parfois subliminal. L’appel de la rue et l’adrénaline de la pratique du tag, notamment à la vandale, l’anime au plus profond : il n’hésite pas à dénoncer par les tags qu’il saisit la nuit sur les murs abidjanais les dérives politiques de la société ivoirienne, sans tabou et de tout bord confondu.

Son parcours aux beaux-arts lui a enseigné non seulement la canalisation de son énergie mais aussi différentes techniques qu’il a adapté à sa propre pratique, en lien étroit avec la rue, son lieu de vie. Ses compositions sont soigneusement organisées, il maîtrise parfaitement ses gestes pour donner à voir les sujets atypiques qu’il représente. A la manière d’une danse abrupte, il dompte la toile et l’énergie furieuse de la rue pour en extirper la délicate beauté tumultueuse.

Auto mutilation (dépigmentation), Vincent Mbandeve, Acrylique et technique mixte, 2016, 110
cm X 100 cm

Elle est là, devant nous, lascive et offerte. Nous voici face à une femme semi-allongée, sans doute dans un intérieur que l’on devine par différents éléments comme des bougies mais aussi un toilette au fond à gauche. La toile est un mélange de tonalités rouge, terre et blanc, une atmosphère plutôt chaleureuse qui dissimule de lourds secrets. L’œuvre est composée d’un gros plan sur cette femme qui occupe tout l’espace du tableau : une femme au teint très pâle nue, semi-allongée, qui nous regarde avec un
semblant de sourire, cheveux relevés et jambes ouvertes.

L’œil est attiré par sa jambe gauche, au sol et le bras droit qui vient se poser dessus : ces parties sont de couleur rouge sombre, associé à des tons terreux en contraste avec le reste du corps de couleur laiteuse. En remontant le regard, on remarque que ce rouge sombre se retrouve sur son épaule gauche et en petite touche sur son visage. Ce n’est donc pas une mutilation sexuelle qui est l’origine de ce rouge sombre, peut-être quelque chose qui touche l’ensemble du corps. Il s’agit de la dépigmentation que Vincent Mbandeve dénonce ici, ce procédé tendant à éclaircir la peau noire pour qu’elle devienne blanche par différents moyens afin de la faire ressembler à la peau européenne, très prisée par les femmes d’origine africaine.

Anouk Bertaux, Historienne de l’art

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